Nous exerçons les uns contre les autres une violence incroyable en Haïti. Le pays ne produisant pas suffisamment de bien pour tous, ce sont des affrontements meurtriers qui ont lieu tous les jours pour profiter d’un système ou l’apparence et la perception supplantent constamment la vérité, ou celui ou celle à qui les médias sont plus accessibles, qui a les meilleurs réseaux, a le dessus et peut même parvenir à faire assassiner l’autre.
En 2019, une carte de visite sur laquelle Jovenel Moise se présentait comme ingénieur, a largement circulé sur les réseaux sociaux et tout le monde y est allé de sa gouaille, de sa méchanceté, de sa haine, de son mépris, de son irrespect contre le président qui fut vilipendé à foison. Lyonel Trouillot, chroniqueur dans le Nouvelliste, ne s’est pas privé d’ajouter une couche dans l’une de ses chroniques, allant un peu plus loin dans sa démarche d’assassinat du caractère de M. Moïse et dans sa campagne visant à son assassinat physique.
Mais voilà que nous apprenons que Jovenel Moise n’était pas le seul à s’attribuer arbitrairement titres et diplômes. Lyonel Trouillot, depuis une trentaine d’années, fait écrire en quatrième de couverture de ses romans qu’il a fait des études de droit alors qu’il n’a même jamais passé le concours d’admission de la Faculté de droit. M. Trouillot est allé très loin dans son imposture. Il est, depuis plusieurs années, titulaire d’une chaire à plein temps à l’Université d’État d’Haïti. Il a donc menti à l’État, à des centaines d’étudiants. Dans un pays normal M. Trouillot devrait être jugé, déchu, contraint de présenter des excuses à tout le monde et prendre des dispositions pour se faire oublier pour le temps qu’il lui reste à vivre.
Quand la nouvelle de son imposture a circulé pendant le mois février, nous n’y avons pas cru. Mais l’information valait bien qu’on la vérifie. Elle s’est avérée vraie. Elle est pour nous symptomatique de l’Haïti d’aujourd’hui prise dans des affrontements fratricides pour l’exercice du pouvoir, où certains groupes s’estiment plus légitimes que d’autres, où avoir les mêmes tares ne signifie pas avoir les mêmes faiblesses, où ceux qui estiment avoir tous les monopoles en arrivent à organiser des élections présidentielles et premier ministérielles, à huis clos, dans un hôtel.
Pour des raisons floues et discutables, certains ont plus le droit que d’autres de mentir, de se faire passer pour ceux qu’ils ne sont pas.
L’ingénieur n’est pas ingénieur, le juriste n’est pas juriste. D’où vient que le faux juriste se croit légitime pour taper rageusement sur le faux ingénieur parce qu’il a prétendu être ce qu’il n’est pas ?
Les réponses et suppositions sont nombreuses. Tentons quelques-unes.
Lyonel Trouillot est le fils d’un avocat qui fut, entre autres, Bâtonnier de l’ordre de Port-au-Prince, qui a laissé des recherches importantes, notamment sur les lois usuelles, avec sa deuxième épouse Ertha Pascal Trouillot qui fut président provisoire de la République. Trouillot est un romancier qui a publié plusieurs livres, c’est aussi un homme politique qui porte une grande part de responsabilité dans le renversement de Jean-Bertrand Aristide en 2004. Trouillot est un homme très arrogant, sur de son savoir, qui aime défier les gens et qui doit se dire tous les matins qu’il en sait plus que tous ceux qui ont fait des études. Nous ne doutons pas que si cela l’avait intéressé il aurait eu sa licence en droit. Pas plus tard que la semaine dernière nous apprenions qu’un homme qui a passé deux ans derrière les barreaux a obtenu des crédits, à la faculté de droit des Gonaives, qui lui ont permis d’avoir sa licence.
Jovenel Moise est un fils de paysans, sans ascendance, sans connexions dans les grands salons de Port au Prince ou de Paris. Entêté, il a voulu passer au travers d’un système miné par des préjugés de toutes sortes, y compris des préjugés de couleur. Il est typique du petit haïtien « sans père ni mère », pas très malin de surcroit, avec un immense égo.
Bien avant son investiture, Jovenel Moise a été pris en chasse par une presse bien-pensante, heureuse seulement quand ses propres alliés sont au pouvoir, aussi par des petits bourgeois, aujourd’hui pour la plupart en attente de TPS aux Etats-Unis. A quelques nuances près, c’est le même profil qui a eu raison de Jean-Bertrand Aristide en 1991 et 2004, des gens qui ne supportent pas de voir au pouvoir quelqu’un issu du peuple, qu’ils trouvent laid physiquement, qui est intraçable dans « la bonne société » haïtienne, qui n’a jamais fréquenté les écoles congréganistes, du temps où leur clientèle était composée d’enfants de cette « bonne société »
Toutes les meutes ont été lâchées le 7 février 2017. L’apparence du couple Moise, particulièrement de madame Moise, était scrutée et dénigrée systématiquement. L’assassinat de Jovenel Moise n’a été que l’apothéose de cet acharnement insensé.
La découverte de l’usurpation de titre et de qualité de Lyonel Trouillot finalement nous permet de comprendre le sens du paraitre dans la société haïtienne, mais aussi les maux multiples qui rongent cette société construite pour favoriser, tolérer, laisser passer certains individus et rester étrangement silencieux devant leurs forfaits. Trouillot et ses pairs sont toujours en première ligne pour, hypocritement, parler d’inégalités, demander des changements de système, alors qu’ils font partie de ceux qui profitent le plus du système et qui, en sous-bassement, font tout pour le garder en l’état. Combien de détenteurs de masters, de doctorats, sont incapables d’obtenir une chair à l’Université d’État ? Beaucoup. Au nom de quoi en a-t-on attribué un à Lyonel Trouillot depuis plus de 30 ans ?
Pourquoi a-t-on pourfendu Jovenel Moise parce qu’il avait prétendu qu’il était ingénieur et que ce silence complice – beaucoup de gens sont au courant depuis toujours de son usurpation – entoure Lyonel Trouillot depuis plus de 4 décennies ?
Quelle société voulons-nous faire et avec qui ?
Quand allons-nous vraiment parler de ce malaise profond qui paralyse tout ?
La Rédaction
