Les procureurs de Jovenel Moïse

Nous n’apprenons rien à personne en disant que l’assassinat du Président Jovenel Moise, le 7 juillet 2021, a été l’épilogue d’un long procès à charge tenu contre lui par des personnalités connues, des médias, des groupes et regroupements qui, dès le départ, connaissaient les conséquences de leur acharnement, d’abord pour le pays.

 

En lisant cet article, vous pourrez facilement les égrener dans votre tête ; leurs violentes rhétoriques contre le Président auront marqué les esprits et l’époque. Jean-Bertrand Aristide avait fait l’objet de la même haine, des mêmes personnes, ou presque, mais en 2003 il n’y avait pas encore les réseaux sociaux et la grande portée qu’ils peuvent donner à la haine et à la bêtise.

 

Jovenel Moise, tout comme Jean-Bertrand Aristide, a été rejeté dès le départ par une certaine classe politique et sociale qui se perçoit comme ayants droit absolus, qui se revendique d’une certaine gauche – même si elle ne sait pas trop ce que c’est -, qui porte en étendard des partis pris plus populistes que populaires et voue une haine sans merci aux paysans, enfants du peuple qui s’approcheraient trop des sphères du pouvoir, avec leurs mauvaises manières, leurs non-connaissances de certains clichés et rudiments de la vieille culture française.

 

Michel Martelly, prédécesseur de Jovenel Moise, était certes haï par cette même classe de gens, mais elle n’est jamais allée aussi loin dans le rejet de sa personne parce qu’elle pouvait facilement identifier de quelles familles il était issu, quelles écoles il avait fréquentées, qui étaient ses amis et parce qu’elle faisait partie de ces gens qui allaient se trémousser dans ses concerts et bals.

 

Qu’il soit clair, nous ne jugeons pas dans cet article l’administration de Jovenel Moise, les décisions bonnes ou mauvaises qu’elle a pu prendre, nous tentons de toucher du doigt ce qui a provoqué une haine si farouche à son endroit et sa condamnation à mort, sans appel.

 

Nous avons lu çà et là sur les réseaux sociaux – Ah les fameux réseaux sociaux ! – après la mort du Président Moïse de timides mea culpa de gens qui réalisaient, après coup, qu’ils avaient été manipulés, qu’ils avaient fait partie de la foule, qui sans le savoir, sans le vouloir, comme dit Victor Hugo, « la foule qui trahit le peuple ». Un témoignage avait particulièrement attiré notre attention, celui d’un monsieur qui rappelait le fameux appel à « Unfollow Jovenel Moise » lancé par les égéries de Petrocaribe, procureurs de leur état, auquel il avait répondu sans s’interroger sur sa nécessité et son bien-fondé.

 

Il y en a beaucoup qui ont réalisé après également que les fameux « peyi lok » avaient étranglé notre économie, mis à mal les plus pauvres.

 

Les plus virulents contre Jovenel Moise, d’un simple clic, pouvaient bloquer le pays, menacer les vies et les biens de toutes les fureurs, soutenus par de puissants médias, ils avaient micros ouverts à 4 heures, dans un show long, médiocre et orienté, dans les émissions du matin où les animateurs sont plus militants que journalistes, le samedi, pour ramasser tout ce qui pouvait être « ramassé », les mettre sur le dos de Jovenel Moise. Un auteur, avec une blessure narcissique en putréfaction, quant à lui, chaque semaine, dans les colonnes d’un vieux quotidien, mêlait promotion de soi, étalage de connaissance, haine, appels au meurtre bien distillés ; les procureurs étaient systématiquement invités à la table de l’ambassadeur de France en Haïti et ne se privaient pas de poster des photos. L’ambassadeur rêvait, sans doute, comme en 2004, de débarquer Jovenel Moise, d’inscrire ce fait dans son palmarès d’ambassadeur blasé et sans relief.

 

Certains des procureurs sont devenus influenceurs en postant, sur Twitter, notamment, des messages dans lesquels l’indécence et le non-sens le disputaient à la maladresse, aux fautes de syntaxe, même en créole. Quoique journalistes dans certains cas, ils flattaient de manière non voilée, ceux qui planifiaient l’assassinat, fricotant avec eux, interpellant directement le Président dans leurs messages sur les réseaux, apportant de l’eau au moulin de ceux qui se lâchaient en détruisant le caractère du Président et de son épouse, en vilipendant les représentants du gouvernent ou toute personne qui appelait à la modération. Sans aucune éthique ils auraient tué et fait tuer pour 2 abonnés de plus à leur compte, ils cherchaient à être ironique « ou pa p dirige anyen… », comme si le pouvoir consistait à contrôler les agités de la toile, comme si cela ne regardait pas au premier chef chaque citoyen que le Président d’un pays, de son propre pays, soit à ce point mis en difficulté par des gens qui n’avaient rien à foutre du pays, qui faisaient d’indécents appels à l’international pour leur donner le pouvoir. Telle journaliste d’origine haïtienne, travaillant pour un grand quotidien de Miami, se laissait aller en affichant sa préférence pour ceux qui appelaient à la table rase, sans aucun souci de l’éthique.

 

Il parait que beaucoup de couples se sont formés à la faveur de ce mouvement de « grand faire voir » qui a ouvert pas mal de portes à des aspirants artistes, comédiens, humoristes. C’est « enrian » que vient la gloire, mais l’imposture ne sera jamais que de l’imposture ! C’est  sur ce qui est resté d’os à  Jovenel Moise, après avoir été torturé, que sont nés et naissent des enfants qui ne sauront peut-être jamais ce qu’ils doivent à sa mise à mort.

 

Un an après l’assassinat de Jovenel Moise, la stupéfaction demeure. Beaucoup des procureurs ont quitté le pays. Le TPS était là pour les secourir et les applications qui permettent les réunions à distance leur donnent l’opportunité de continuer à vivre des malheurs du pays.  La cause des femmes, celles-là mêmes qui furent victimes du « peyi lok », l’économie, celle-là même qu’ils ont déchirée à mains nues et en toute conscience. Imiter la robe d’Alexandria Occasion Cortez ne signifiera jamais lui ressembler, encore moins porter une cause avec autant de noblesse et de sincérité qu’elle.

 

Beaucoup sont restés. Ils se font petits. D’autres n’étaient pas bien méchants, ils voulaient seulement profiter du grand vacarme pour gagner quelque chose, des « followers » sur les médias sociaux, ça peut être utile, un poste qu’ils ont fini par obtenir.  Certains n’avaient osé qu’un bon mot, par exemple appeler le président « Jovenul » ou commenter abusivement les habits de la Première Dame, identifiée d’emblée comme une paysanne gauche, sans style, qui n’avait pas sa place au Palais national.

 

Ce que nous allons payer pendant longtemps en Haïti et qui fait planer une grosse menace de disparition sur notre pays, c’est cette pratique de faire passer les individus avant le pays, les intérêts personnels ou de groupe avant la République. Peu importait que le Président fasse quelque chose de bien pour la collectivité, prenne une bonne décision pour le pays, du moment que c’était « lui » il fallait cracher sur la décision, vilipender l’initiative, lyncher celui ou celle qui reconnaissait son bien-fondé.

 

La démocratie ? Connait pas ? Aucune structure politique n’a vu le jour. On ne parle que de transition, seule façon de mettre la main sur le pouvoir.

 

Ariel Henry a été nommé par Jovenel Moise. Il est depuis presque un an Premier ministre, au grand dam de certaines personnes, notamment certaines de celles qui ont activement participé et bénéficié du coup d’État contre Jean-Bertrand Aristide en 2004 et fait partie des procureurs les plus virulents de Jovenel Moise. Le Docteur Henry a été, au début de son administration, comme Premier ministre, outrageusement ciblé par ces personnes, ses anciens amis, qui le sont encore peut-être. Ils ont essayé de lui faire porter le chapeau de l’assassinat du Président Moise. Comme quoi, eux, ils avaient condamné le Président Moise au cours d’un procès incessant entre 2017 et 2021 et lui, Ariel Henry, aurait porté l’estocade. Comme c’est accommodant ! De puissants lobbys ont été mis en branle de Washington à New York, les bien-pensants avaient fait fort, sauf qu’il n’y avait aucun moyen de le prouver et que cette fois-là le travail d’assassinat de caractère ne pouvait aboutir. On se souvient, non sans un sourire, que l’une des exigences de l’accord de Montana, quand il pouvait encore se permettre quelque exigence, était qu’Ariel Henry se mette à la disposition de la justice. Cette demande lui avait finalement enlevé le peu de crédibilité qu’il avait.

 

Mais, ce qui épargne le Docteur Ariel Henry d’un assassinat de caractère en règle qui pourrait se solder par un assassinat tout court, au-delà de la faiblesse de ceux qui se verraient bien à sa place, ce sont ses origines sociales, son ancrage dans cette « bonne société » haïtienne, dévorée, paralysée par les préjugés. L’éminent médecin, professeur d’université, deux fois ministre, ne vient ni de Port Salut, ni de Port de Paix, il n’a pas échappé in extremis a une vie de marchand ambulant, de maçon ou d’immigré cumulant « 2 chiffres ».

 

L’autre élément à prendre en compte c’est la fatigue de la communauté internationale.  Les uns et les autres ont gavé les étrangers en les conviant constamment à prendre parti dans une incessante guéguerre. Ils n’ont pas vu la différence entre 2004 et 2021, ils ont compris qu’au final il s’agissait d’une permanente bataille fratricide et que même la mort, en l’occurrence celle de Jovenel Moise, n’apaisait les rancœurs, les besoins de pouvoir, qu’il n’a jamais été question de pays, mais de personnes, de clans.

 

C’est un cliché, mais il est tellement à propos de reconnaitre que les temps sont durs ! Il n’y a aucune perspective. S’il s’agissait d’argent, on pourrait espérer, faire des plans, mais il s’agit de ressources humaines. Tout le monde parle, personne n’écoute et ce qui sort des différentes bouches est inutile, piètre, ne peut pas faire échos. C’est dans une quasi-indifférence que Michel Martelly et Jovenel Moise sont devenus présidents. La dernière élection à avoir fait bouger la population était celle de 2006 qui avait vu l’arrivée pour la deuxième fois au pouvoir de René Préval. La population qui avait très mal vécu le départ du Président Aristide en 2004 voulait donner une leçon aux « grenn nan bouda », leçon qu’ils semblent avoir oubliée.

 

Étonnamment, dans le tohu-bohu des quatre dernières années, aucune voix, même pas une fois, n’a sorti la parole sensée, rassembleuse, qui aurait pu faire la différence. Aucun leader n’a émergé. La majorité des gens de ce pays ne souhaite pas une autre transition qui viendrait remplacer celle assumée par Ariel Henry et son gouvernement – à quoi bon ! – elle souhaite la sécurité, la paix et enfin des élections qui apporteraient une forme de normalité et corrigeraient ces incessants décrochages démocratiques. Nous sommes saturés de la situation et savons que tant que des solutions ne seront pas apportées à la situation de grande misère qui prévaut depuis toujours et s’aggrave chaque jour, tant que les institutions ne seront pas renforcées, il sera impossible d’atténuer la criminalité.

 

Si les leaders issus du peuple provoquent autant de rejet, de manifestations de violence, comment allons-nous faire, dans les prochains mois, les prochaines années pour élire un gouvernement qui jouira du silence nécessaire pour travailler, sachant que les procureurs, les « rejeteurs », les bien-pensants, n’arriveront, d’une part, jamais à convaincre l’électorat majoritaire, d’autre part, dans beaucoup des cas, ils ont un passeport étranger ou choisissent de vivre à l’étranger ? Il n’y a peut-être pas d’autres exemples dans l’histoire du monde moderne d’un pays où personne ne veut faire de compromis, ni même discuter, où le sort du pays est secondaire par rapport à celui de certaines personnes, de certains clans, où certains individus préfèreraient empoisonner une source dont la population aurait grand besoin s’il faut laisser le mérite de l’avoir découvert à telle personne.

 

Certains procureurs se sont lavé les mains. D’autres pas. Ils comptent sur les failles de la mémoire ou le refus carrément de certains de se souvenir pour faire comme s’ils n’avaient pas mené le procès à charge contre Jovenel Moise, comme si tous les jours ils n’appelaient à la disparition de certains de leurs compatriotes. Leurs mauvaises perceptions de la politique assassinent la République. Il n’y a aura pas de paix tant que le principe de l’alternance ne sera accepté par tous, le respect du verdict des urnes, peu importe qui devient président, le respect des élus et des institutions et aussi l’intégration du principe que servir son pays ne signifie pas forcément devoir détenir le pouvoir politique.

 

Il y a des choses qui ne sont pas réparables. Il faut que nous en prenions notre parti. C’est l’histoire qui se chargera de juger les procureurs de Jovenel Moise, c’est pour cela qu’il est important d’écrire ce qui s’est passé entre 2016 et 2021, d’en rapporter les moindres nuances et le moment venu de citer les noms des procureurs.

 

La Rédaction

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