L’assassinat d’Eric Jean-Baptiste dans la nuit du vendredi 28 octobre sera bien loin d’être l’épilogue de ce jeu de massacre auquel la société haïtienne s’adonne depuis plusieurs années et qui s’est dangereusement intensifié depuis quelques mois.
Nous entendons déjà les cris d’orfraie de certains, toujours prompts à dire « je n’en fais pas partie », à s’esclaffer en prétendant qu’ils sont dans le camp du bien. Sauf qu’il n’y a pas de camp du bien aujourd’hui en Haïti. Il y a une horde de gens décrédibilisés qui ont aspiré tout espoir de vivre en paix pour les autres. Des gens qui trahissent leur passé en allant exposer leurs fausses indignations dans les médias alors qu’en 2004, l’année du bicentenaire de l’indépendance, ils appelaient des forces étrangères à venir les installer au pouvoir; des anciens élus qui organisent des expéditions punitives contre des politiques et anciens compagnons de lutte ou qui lancent des appels à aller tuer et piller; des hommes d’affaires qui veulent tout détruire parce que l’État les oblige à payer la douane, qui financent des gangs dont l’une des missions semble être d’éradiquer toutes formes de vie dans le pays.
Des assassinats, des tentatives d’assassinats, des appels au meurtre relayés par des gens sur les médias sociaux qui adhèrent au fait que tuer est le seul moyen de résoudre nos problèmes. Haïti est un pays qui n’a pas évolué. Ce sont des procédés qui s’éprouvent depuis plus de 2 siècles. Dessalines aurait été vivant qu’on l’aurait tué de la même manière. Il ne faudra pas s’étonner que dans les jours à venir on assassine d’autres personnalités. Les grands bandits sont désespérés, la fin de leur règne est proche, ils veulent installer le chaos en posant des actions spectaculaires.
Pas une seule fois, ou bien cela nous a échappé, une voix de l’opposition politique ne s’est élevée ces derniers mois pour appeler au calme. Le désordre faisait bien le jeu de ceux qui ne le finançaient pas. Ils étaient en embuscade constante pour se présenter comme sauveur et diriger une éventuelle transition. Ceux qui le finançaient se voyaient déjà rétablis dans leurs privilèges de ne pas payer la douane et de faire des profits royaux sur le carburant. Il a fallu que l’étranger prenne des sanctions contre eux. Aujourd’hui, les plus puissants, les plus riches d’entre eux, continuent de bloquer le carburant, ce qui entraine une grave crise humanitaire. Il faut, selon eux, que les choses soient comme elles étaient avant ou ne soient pas du tout !
La conjoncture est tellement lisible que c’en est vexant pour ceux qui prennent le temps de réfléchir un peu. On se demande si Eric Jean-Baptiste n’a pas été tué parce qu’il essayait, avec d’autres politiques, de trouver une entente pour sortir le pays de la crise. Est-ce qu’ils ont essayé d’abattre le journaliste Roberson Alphonse parce que, dans sa grande lucidité, il faisait entrer dans le débat des voix qui expliquaient qu’une aide étrangère est nécessaire pour faire face aux défis sécuritaires auxquels nous sommes confrontés aujourd’hui? Le journaliste avait fait parler Eric Jean-Baptiste à son émission il y a quelques jours.
Eric Jean-Baptiste n’était pas incohérent. Il était l’une des rares voix à s’élever en 2010 pour demander le départ de la MINUSTHA qu’il appelait « MINUSTHA choléra ». Il a porté, à lui seul, avec ses propres moyens financiers, une campagne qui disait la saturation des uns et des autres de la présence d’une force étrangère sur le territoire. Tout en assumant cette ancienne position, il comprenait que la Police nationale ne pouvait pas, seule, rétablir la sécurité sur le territoire. Et son assassinat vient prouver qu’il avait raison. Les criminels sont puissants et ne sont pas inquiétés. Pour le moment.
Personne ne sortira indemne de cette crise. La vulnérabilité de la population haïtienne est aussi mentale. Elle suit à l’abattoir des bonimenteurs, des voix de la diaspora qui n’ont qu’une idée biaisée de la réalité dans le pays, qui cherchent seulement à devenir influenceur sur les médias sociaux, des femmes et hommes politiques qui l’ont déjà bernée, des journalistes corrompus jusqu’à la moelle ou qui se prennent pour des leaders politiques ou des objecteurs de conscience. Le fait que tant de gens relayent des appels au meurtre, soutiennent la violence sur les médias sociaux en dit long sur notre futur et notre capacité à bâtir une société.
La Rédaction